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Pierre Calmard (Dentsu) : « L’arrivée des plateformes de streaming sur le marché n’est pas un game changer »

Pierre Calmard (Dentsu) : « L’arrivée des plateformes de streaming sur le marché n’est pas un game changer »

Interview du lundi. Avec ses quatre agences (Carat, IProspect, Dentsu X et Dentsu Creative), Dentsu France poursuit sa transformation avec une relocalisation de ses bureaux dans Paris. Président de la filiale française du groupe japonais depuis 2020, Pierre Calmard multiplie les gains de budget media, avec notamment le renouvellement du contrat avec le Gouvernement. Conjoncture du marché, arrivée des plateformes de streaming, consolidation du marché français… Pierre Calmard est l’invité du lundi de 100%Media (à retrouver également en podcast).

100%Media : Quel bilan faites-vous de cette année 2022 pour Dentsu en France ?

Pierre Calmard : Le bilan est largement positif. Certes, l’année a été difficile pour le marché publicitaire, qui a démarré fort avant de s’étioler. Mais nous battons deux records : le taux de satisfaction de nos clients a dépassé 8/10 pour la première fois, et le taux d’engagement de nos talents a gagné 15 points en deux ans.

Si on ajoute à cela une réorganisation qui porte ses fruits, avec désormais trois agences média (Carat, iProspect, dentsuX), et une agence de création (Dentsu Creative), nous sommes armés pour affronter l’avenir avec sérénité.

Plus que jamais, nous gardons l’esprit d’un pionnier, et nous plaçons les talents au cœur de nos métiers. L’accord de télétravail ultra novateur que nous avons signé en 2021 fonctionne parfaitement, et nous avons ajouté à cela un accord QVT (Qualité de Vie au Travail) qui nous permet d’être en pointe sur la parité, dans les deux sens, et le bien-être en général. C’est important, car notre industrie mobilise beaucoup d’énergie et d’implication.

Résultat : nous avons atteint la 7e place du classement Choose My Company, dans la catégorie des entreprises de 500 à 1000 collaborateurs, et nous sommes le seul groupe de communication dans le TOP10 de cette année. D’après nos collaborateurs, le sentiment d’appartenance, la communication et la culture d’entreprise sont nos points forts.

100%Media : Comment se porte l’activité média pour Dentsu en France et dans le monde ?

P.C. : L’activité se porte bien, avec une croissance supérieure à celle du marché mondial. Les chiffres de COMvergence, qui datent de cette semaine, placent Dentsu numéro 1 en newbiz média sur la zone EMEA, on peut donc dire que c’est une année extraordinaire pour nous. En France, nous avons en 2022 gagné quelques appels d’offres significatifs, comme Henkel, Kering ou UPSA.

Mais ce que je retiens aussi, c’est que nous savons conserver nos clients. En 2023, plus de 98% de nos clients 2022 seront encore avec nous. C’est un gage de fidélité qui nous honore. Et j’espère que cela incitera quelques annonceurs à se demander pourquoi, pour envisager de nous rejoindre.

100%Media : Vous êtes reconduit sur le budget média du Gouvernement (SIG). En quoi ce dossier est-il stratégique pour vous ?

P.C. : La fidélité de nos clients est un élément stratégique pour nous, quel que soit le client. Bien sûr, le gouvernement et les ministères constituent des clients particuliers. Pour les équipes, il s’agit réellement d’une mission. Elles sont choisies sur la base d’une réelle appétence pour les enjeux de communication plus institutionnelle. C’est une vraie fierté pour elles, comme pour moi d’ailleurs. Cela contribue à chercher en permanence à donner du sens à nos métiers pour les collaborateurs.

Sur le plan de la visibilité sur le marché, c’est aussi un gain très important. Le critère de sélection est d’une rigueur absolue, et tous les groupes de communication y participent. Gagner cet appel d’offres, c’est un signe de compétence unique.

100%Media : Aux derniers Cannes Lions, vous avez annoncé la création d’un réseau d’agences créatives au sein de la bannière Dentsu Creative. Quel bilan faites-vous ?

P.C. : En France, comme prévu, cette offre est déjà opérationnelle. Pour Dentsu, c’est un choix radical de simplification, de lisibilité sur le marché, autant qu’une promesse d’efficacité pour nos clients. Un réseau unique de création qui regroupe l’ensemble des métiers, c’est la garantie de profiter de synergies dont les marques ont besoin en 2022.

Planning stratégique, idées créatives, graphisme, production traditionnelle et digitale, technologie… tout doit converger vers une proposition syncrétique. Je crois que plus que jamais c’est la cohérence du discours qui fait sa force. La multiplicité de ses expressions peut parfois apparaître complexe pour les annonceurs. Avec une structure unifiée, tout devient simple.

Dans le monde, on voit les premiers effets positifs : Agency of the year au Cannes Lions Dentsu Creative India.

100%Media : L’arrivée de Netflix sur le marché publicitaire est très scrutée cet automne (avant Disney+). Jean-Luc Chetrit, DG de l’Union des marques, a fustigé le manque de transparence de géant du streaming dans la façon dont il aborde le marché. Qu’en pensez-vous ? Comment avez-vous travaillé avec Netflix ? Cette offre est-elle un « game changer » pour le marché ?

P.C. : D’abord, il est bon que le marché de la publicité audiovisuelle s’élargisse. Le marché est tendu sur certaines périodes, et pour éviter le phagocytage de l’espace publicitaire au profit de quelques géants, diversifier est important.

A date cependant, on ne peut pas dire que l’arrivée des plateformes soit un game changer sur le court terme. Beaucoup de questions persistent quant au lancement de cette offre, que ce soit en termes de mesure, de ciblage, d’audience, ou de prix. Le lancement est sans doute un brin précipité, et pour le moment ne permet pas d’utiliser leur potentiel data, qui est leur atout potentiel numéro un.

A moyen terme cependant, ce nouvel écosystème pourrait constituer un véritable game changer. Pour deux raisons. D’abord, c’est une façon de faire revenir les cibles jeunes sur le média télévision, en tout cas sur un écran digne de ce nom, avec le confort visuel qui va avec. C’est très important pour l’impact publicitaire et les possibilités créatives. Ensuite, leur arrivée pourrait changer drastiquement la façon dont l’espace est acheté en télévision. A date, les annonceurs achètent des GRP, c’est-à-dire des volumes de contacts sur des cibles marketing, mesurées par un tiers de confiance, Médiametrie. Le marché se fait de gré à gré, avec des négociations qui sont réalisées annonceur par annonceur. Or, ces plateformes s’achètent au CPM, donc au Coût pour Mille, comme du digital, et sur des systèmes soit d’enchères, soit de prix fixe. C’est une méthode bien plus transparente, mais aussi plus inflationniste. Pour les agences média et les annonceurs, c’est la possibilité d’un nouveau paradigme, qu’il faut appréhender avec prudence.

Mon avis personnel, c’est que les systèmes d’enchères bénéficient d’un avantage crucial dans la période que nous vivons : ils ont le mérite de la transparence, qui permet sur le papier d’assurer une compétition saine sur le marché.

A voir si les annonceurs seront séduits par les résultats ou non. Pour le moment, c’est trop tôt pour le dire.

100%Media : La consolidation du secteur de la TV attendra après l’échec de la fusion TF1/M6 et l’abandon de la cession de M6. Sommes-nous passés à côté d’une occasion de renforcer nos médias nationaux ?

P.C. : Cette fusion aurait permis de valoriser notre marché publicitaire, qui a besoin de résister à la force des plateformes mondiales. Ceci étant, je pense que ce combat est désormais très difficile au niveau national. Sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, c’est l’Europe qui devrait jouer son rôle. Nos médias nationaux sont vitaux pour notre démocratie, mais il faut imaginer quelque chose de nouveau pour atteindre une taille critique. A minima, des alliances continentales pourraient se former.

On ne fait pas un géant avec deux nains, mais avec sept, on peut éventuellement écrire une belle histoire. Ironiquement, la fin de cette fusion coïncide avec le lancement de la publicité sur Netflix et Disney+. Cela renforce le sentiment d’urgence.

Plus globalement, il serait quand même bon que le législateur se réveille. Ce marché souffre d’une régulation obsolète. Elle est pétrie de bonnes intentions, faite d’indépendance des éditeurs, d’évitement de position dominante, et de transparence. Mais au final, la France est rattrapée par le réel. Ses éditeurs et producteurs sont trop faibles, ses diffuseurs idem, l’espace publicitaire est moins cher en France que dans la plupart des pays européens, et les agences média ont des résultats financiers misérables par rapport à nos homologues européens. C’est un système où nous sommes tous perdants. Je rêve de passer du temps avec ceux qui décident des lois pour tout remettre à plat, mais je crains que cette chimère soit impossible dans notre pays.

100%Media : Le rachat de Twitter par Elon Musk suscite beaucoup d’interrogations. Certains annonceurs, comme General Motors ou Mondelez, ont-ils eu raison de quitter la plateforme ?

P.C. : Les annonceurs doivent avant tout protéger leur image, qui est une partie importante de leur patrimoine. Cet art est devenu complexe, car à l’heure du digital, la maîtrise des contextes éditoriaux est devenue difficile.

C’est vrai des plateformes bien sûr, mais c’est aussi vrai des médias traditionnels, qui par ricochet développent des contenus qui leur permettent d’exister sur les réseaux sociaux. Les affaires C8 ou CNews en sont l’exemple.

Dans le même temps, la vraie difficulté pour les annonceurs aujourd’hui, c’est de toucher les jeunes. Pour les générations d’avant, il y a mille manières de sécuriser la diffusion de sa publicité, et de multiples alternatives existent. En revanche, pour les populations les plus jeunes, le digital et notamment les réseaux sociaux sont devenus difficilement substituables.

Twitter illustre tout le paradoxe de notre époque. Elon Musk veut construire une plateforme où la liberté d’expression sera totale, ce qui ouvre la porte à un océan de possibilités en termes de diversification, mais également en termes de violence et d’excès. La liberté peut-elle s’accommoder de l’outrance ? C’est une vraie question philosophique.

100%Media : Selon le BUMP publié lundi dernier, les recettes publicitaires nettes de l’ensemble des médias s’élèvent à 11,316 milliards d’euros, en progression de +8,1% par rapport aux 3T 2021. Le digital porte la croissance (+40%). France Pub prévoit une progression du marché de +6,1% en 2022, quasi au même niveau qu’en 2019. Quelle est votre vision du marché qui semble résister ? Comment voyez-vous 2023 ?

P.C. : Si le marché publicitaire a démontré une croissance forte sur le 1er semestre 2022, la fin de l’année semble plus complexe, même si la croissance sera là.

L’élasticité de la dynamique publicitaire est plus que jamais liée aux incertitudes de nos sociétés. Les indicateurs macro-économiques sont régulièrement révisés à la baisse et les signaux géopolitiques inquiètent. Ces deux phénomènes ont des impacts à court et long terme sur les investissements des annonceurs.

En France, le total du marché devrait enfin dépasser le montant d’avant crise, mais les réalités par média sont différentes.

Le digital porte toujours la croissance et représente plus de 50% des investissements depuis 2020. Pour les médias « traditionnels », le taux de croissance est moindre et le niveau d’investissement de 2019 ne sera retrouvé qu’en 2023. On note également que peu importe le média, c’est son équivalent digital qui reste le plus dynamique et permet de générer le plus de croissance.

En tout cas, annoncer triomphalement que les dépenses publicitaires retrouvent leur niveau de 2019, c’est masquer une baisse, si l’on tient compte de l’inflation. C’est une situation très différente des pays anglo-saxons, chez lesquels la dynamique est beaucoup plus forte.

Parmi les incertitudes liées au marché publicitaire, d’autres éléments structurants viendront sans doute impacter les évolutions. Comme pour la vie quotidienne, les professionnels des médias feront face au sujet de l’inflation, et à la baisse tendancielle de l’audience en télévision notamment.

100%Media : La transition écologique est centrale. Cette thématique va-t-elle impacter structurellement le marché de la publicité ?

P.C. : Il est clair que l’image de la publicité n’est pas bonne, et particulièrement en France. Elle est jugée polluante sur le plan environnemental, et aussi néfaste en provoquant une surconsommation injustifiée.

Personnellement, je pense au contraire qu’il est possible de renverser la proposition : la publicité peut aussi servir à changer les mentalités, rendre la consommation plus responsable, et contribuer à faire du bien à la planète et aux citoyens.

Mais de nombreux lobbys s’agitent pour tenter de taxer ou limiter la communication commerciale, il faut en être conscient. Ces exigences représentent un danger majeur pour nos démocraties, puisque l’écosystème médiatique est très largement financé par la publicité. Il faut savoir dans quel monde nous voulons vivre.

C’est pourquoi les groupes de communication se doivent d’être des acteurs du changement et de la transition.

Chez Dentsu, nous cherchons sans cesse à minimiser notre impact environnemental, mais également à maximiser notre apport sociétal. Avec notre déménagement, et la réduction drastique de nos déplacements, nous avons déjà réduit de plus de moitié notre empreinte carbone. Et le lancement de notre club « dentsu Switch », un do-tank monté en collaboration avec nos clients, va nous permettre d’apporter des solutions concrètes pour dépolluer la planète.

Propos recueillis par François Quairel.

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