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Nicolas Rieul (Alliance Digitale) : « L’arrivée de Netflix et Disney sur le marché publicitaire va créer une dynamique »

Nicolas Rieul (Alliance Digitale) : « L’arrivée de Netflix et Disney sur le marché publicitaire va créer une dynamique »

Chaque lundi, 100%Media vous propose une interview en grand format avec un acteur du marché. Cette semaine, Nicolas Rieul, président d’Alliance Digitale, réunissant IAB France et LMMA, a répondu à nos questions.

100%Media : Fin juin, vous avez annoncé la création d’Alliance Digitale réunissant l’IAB France et La Mobile Marketing Association (LMMA). Pourquoi un tel rapprochement ? Quel bilan en faites-vous après quelques semaines ? Comment se passe la cohabitation ?

Nicolas Rieul : Le rapprochement des deux associations signifie une amplification des moyens financiers et humains. Il signifie aussi une meilleure représentativité de l’écosystème par le nombre et la typologie des acteurs, en supprimant les silos.

Ceci est d’autant plus crucial que les sujets – business, technologiques et légaux – se sont complexifiés depuis 5 ans. Ces sujets nécessitent des réponses coordonnées entre toutes les parties prenantes de la chaine, et qui soient opérationnellement applicables.
 
Avec plus de 250 membres, on a la chance d’avoir les meilleurs experts autour de la table et de bénéficier de leurs talents pour créer des solutions, des normes, des définitions, des nomenclatures, des mesures communes qui vont structurer, voire discipliner, le marché lorsque nécessaire.
 
Le travail d’organisation et de structuration en amont a permis d’apprendre à se connaitre, à déterminer les chantiers communs et à respecter les spécificités de chacun. A la fin de l’année, il y aura une équipe et une feuille de route commune avec, à la clef, l’élection d’un nouveau CA et donc de nouvelles opportunités pour contribuer à notre mission et représenter la diversité du marché.

100%Media : Cette Alliance a-t-elle vocation à remplacer les « marques » IAB et LMMA, sachant que la première entre dans un réseau européen et mondial ? Comment organisez-vous l’intégration de l’Alliance au sein du réseau IAB ?

Nicolas Rieul : Les deux marques IAB et La Mobile Marketing Association continuent de vivre et chacune continue d’être présente au sein de son réseau. C’est pour ça qu’il s’agit d’une Alliance, d’un rapprochement, et non d’une fusion.

Enfin, nous sommes dans un marché dont les plus gros acteurs et standards sont mondiaux, avec une législation européenne, et où il est impossible de ne pas disposer d’une vision internationale. Nous sommes le porte-voix français. C’est une chance que nos deux associations historiques disposent chacune d’un réseau sur lesquels nous appuyer. Certains sujets nécessitent d’être traités « made in France », d’autres peuvent avancer à l’échelle européenne et enfin d’autres nécessitent une collaboration et un partage au niveau mondial.

100%Media : Dans un contexte de mutation profonde du marché, les organisations professionnelles se musclent, que ce soit vous ou l’Udecam. Quelle lecture faîtes-vous de cette tendance ? Le lobbying à l’Américaine est-il en train de s’imposer en France dans le rapport de force avec les politiques, mais également avec les grands acteurs ?

Nicolas Rieul : La professionnalisation de nos associations est une très bonne nouvelle. La France a toujours eu le syndrome de l’individualisation, donc de la fragmentation et de la difficulté à se rendre audible auprès des politiques, des organismes de régulation, mais aussi des autres associations. C’est regrettable, car on ne peut construire un univers publicitaire durable que si les marques, les agences, les conseils, les technologies sont impliqués et savent se faire entendre et comprendre.

Nous portons une responsabilité collective à informer, partager et traiter des enjeux dans le bon tempo au service de tous les acteurs, surtout les plus petits.
Ne soyons pas naïfs : le lobbying est répandu parmi les acteurs qui disposent d’une taille importante. En France, nous disposons d’un écosystème riche par sa créativité et sa résilience, mais le tissu reste très PME / TPE. Nous devons avons tout être leur porte-voix.

100%Media : Vous êtes en conflit avec Apple sur la politique de limitation de partage des données qui peut handicaper les acteurs du marché publicitaire. Le GESTE vient de déposer plainte comme Apple aux Etats-Unis. Quelle est la position d’Alliance Digitale et comptez-vous aller devant les tribunaux ?

Nicolas Rieul : Tout d’abord, on est très heureux que le GESTE ait rejoint la plainte initialement déposée par le SRI, l’IAB, la MMA et l’UDECAM. On les remercie chaleureusement de leur soutien, car la présence des éditeurs est très importante. Nous soutenons totalement le dépôt de plainte du GESTE qui porte sur l’App Store. Il existe bien deux fronts qui portent sur des abus de position dominante dans la distribution des applications : l’un sur l’App Store et le mode de rémunération des développeurs et l’autre qui concerne un volet publicitaire, ainsi que le self-preferencing d’Apple qui cherche à avoir la mainmise sur l’exploitation de données des utilisateurs.

100%Media : Récemment, Facebook a dû revoir ses pratiques sur la publicité en ligne après une plainte de l’un de vos adhérents, Criteo. Est-ce de nature à faire évoluer globalement ces pratiques ?

Nicolas Rieul : D’abord, il m’est difficile de m’exprimer sur le sujet au regard de ma double casquette, en tant que dirigeant de Criteo et président de l’Alliance Digitale. Il ne faut pas confondre les interactions particulières entre deux membres et l’action collective. Sur cette affaire en particulier, les engagements de Meta s’appliquent à tout le secteur effectivement.

Meta est un membre actif important de l’association, aligné sur de nombreux sujets, dont celui de l’impact anticoncurrentiel d’Apple ATT par exemple. Il avait prédit l’impact dévastateur sur le secteur en premier.

Enfin, au-delà de ce cas particulier, l’Alliance souhaite traiter de tout ce qui peut être une entrave à la libre concurrence dans notre secteur et a toujours soutenu un internet libre, ouvert et interopérable.

100%Media : La fin des cookies ne sera pas pour tout de suite après l’annonce de Google de reporter leur disparition de Chrome, appelée Privacy Sandbox. Qu’est-ce que ça change ? Pensez-vous que Google ira jusqu’au bout ?

Nicolas Rieul : Je ne sais pas si Chrome ira jusqu’au bout de la fin des cookies tiers, mais on ressent tout de même une très forte détermination de leur part. En tant qu’association, on participe aux débats avec Chrome afin de s’assurer que les différents acteurs ne soient pas impactés négativement, mais aussi pour aider nos membres qui n’ont pas forcément les ressources nécessaires pour suivre eux-mêmes le projet. Notre objectif est de protéger notre écosystème en veillant à l’équilibre concurrentiel, que les positions des plus grands acteurs ne soient pas renforcées.

Notre rôle est d’anticiper et de construire collectivement des solutions viables et efficaces pour chacune des parties de la chaine publicitaire, en permettant une publicité pertinente et appropriée (gestion de la pression publicitaire, respect de l’individu, du contexte de diffusion, du device). En France, nous sommes particulièrement actifs sur ces sujets dans la mesure où nous avons une des autorités de régulation la plus stricte en Europe. Sa dernière recommandation sur les cookies a été largement suivie par notre secteur. Il est désormais aussi facile d’accepter que de refuser les cookies, et il est intéressant de voir que les internautes ont largement fait le choix de les accepter.
 
Nous sommes aussi vigilants à ce que la publicité personnalisée ne soit pas stigmatisée ou diabolisée dans la mesure où elle permet un modèle économique équilibré et donne accès à des contenus et services gratuitement ou à moindre coût. C’est un vrai bénéfice pour les Français. Il faut avoir conscience que seulement 18% des classes populaires se disent prêtes à payer pour l’information en ligne d’après l’IFOP. La balance bénéfice/dommage de la publicité personnalisée pour la société française est très largement positive.

100%Media : Netflix et Disney arrivent sur le marché publicitaire avec des offres AVOD d’ici la fin de l’année. Avec des projections de recettes de 5,5 mds de $ d’ici 2027 pour Netflix, ces nouveaux acteurs peuvent-ils stimuler ou déstabiliser le marché publicitaire, y compris français ?

Nicolas Rieul : Cela est un parfait enchainement avec la question précédente. Il y a une place pour des modèles hybrides vivant à la fois de recettes de diffusion et de publicité et il ne faut pas les opposer. L’arrivée de Netflix et de Disney sur le marché français contribue à cette dynamique. C’est le reflet des usages de consommation et avoir le choix reste une opportunité pour les marques et les agences d’investir plus et de changer leur mix media.

Plus largement, notre but à tous est d’augmenter l’enveloppe totale, quand on voit le poids de la publicité digitale aux États-Unis et au Royaume-Uni dans l’économie, la part du marché publicitaire dans le PIB est bien plus grande. On ne peut que souhaiter la même chose pour notre marché. L’offre crée la demande et nous accueillons ces deux nouveaux acteurs avec plaisir.

100%Media : La fusion TF1 / M6 en pleine discussion peut-elle avoir un impact sur le marché de la pub digitale ? Alliance Digitale s’est-elle positionnée ?

Nicolas Rieul : Alliance Digitale n’a pas été interrogée par l’Autorité de la Concurrence et nos membres ne nous ont pas sollicités.

100%Media : Le marché publicitaire a plutôt résisté au premier semestre 2022 dans un contexte économique et géopolitique très incertain. La croissance semble ralentir sur 2022 mais reste soutenue. Quelle est votre analyse ?

Nicolas Rieul : De notre côté, nous constatons avec le Baromètre du programmatique d’Alliance Digitale des tendances qui sont moins bonnes sur le premier semestre avec -5% par rapport à 2021. Cette baisse a commencé dès le mois d’avril avec -9% pour s’accélérer à -17% en juin, sans doute à cause du conflit en Ukraine.

Par ailleurs, le e-commerce, gros pourvoyeur de publicité digitale, est en baisse de -16% sur le premier semestre d’après la Fevad, avec pour conséquence une réduction drastique des investissements sur le digital.
 
En matière de prévisions, tout le monde s’accorde à dire que la visibilité n’a jamais été aussi faible et que le marché est versatile surtout en France où il a tendance à surréagir aux crises et à traiter le budget marketing en variable d’ajustement (crise de l’approvisionnement des matières premières, de l’énergie, inflation, automobile sont autant de variables et d’indicateurs complexes à décoder). De même, alors qu’on pense souvent que les campagnes à la performance sont privilégiées dans ces périodes, a contrario du branding, on constate que ce n’est pas toujours vrai. Nous avons vu de grandes campagnes institutionnelles venant nous faire mentir. Si l’été semble avoir été difficile par rapport à l’an dernier, on sait aussi que l’effet Coupe du Monde jouera au quatrième trimeste. Le digital rouvrira des possibles quand certains plannings TV seront saturés. Le digital offre une programmation de campagne rapide et efficace.

100%Media : Comment voyez-vous l’évolution du marché du retail média en France ?

Nicolas Rieul : Le retail media est un secteur en plein boom, à la fois par le nombre de nouveaux acteurs qui s’y intéressent, mais aussi par le niveau d’investissements qu’il génère ainsi que sa structuration (mesure, outils,formats…).
Le dynamisme de notre commission en est la preuve. Animée par Arick Abbou et Tanguy Le Falher, elle réunit plus de 60 participants. Nous comptons la quasi-totalité des acteurs du secteur et nous avons de nombreux projets structurants en cours. Bienvenue à ceux qui s’intéressent au sujet !
 
Propos recueillis par François Quairel

 

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