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Les richesses insoupçonnées du brand content stratégique par Daniel Bô et Pascal Somarriba – Episode 2

Les richesses insoupçonnées du brand content stratégique par Daniel Bô et Pascal Somarriba – Episode 2

Après l’article «Elargir les indicateurs de performance du brand content stratégique» (voir archive), voici la deuxième et dernière partie. L’économie de l’expérience et l’économie du don invitent à reconsidérer les critères d’efficacité du brand content. Et si le brand content stratégique était une forme de jardinage, où la marque sème en acceptant les aléas et les opportunités ?

Une stratégie de brand content s’élabore progressivement. Il faut accepter la part d’incertitude d’une élaboration dans la durée, dont on ne peut tout maîtriser. C’est le prix à payer pour que le contenu de marque produise des effets de levier puissants.

Les variables du temps et du hasard
Le temps et le hasard sont inscrits depuis toujours dans l’histoire des marques. La marque, individualité concrète et vivante, est en effet une réalité historique et non un fait ponctuel. Son historicité se fonde à la fois sur sa profondeur dans le passé, et le hasard de ses évolutions : c’est le plus souvent à partir de contingences heureuses, d’opportunités inattendues (découvertes, rencontres…) que les marques ont pu se développer au-delà de leurs espérances premières. Ainsi même si l’origine de certains événements est hasardeuse, ils finissent par s’intégrer pleinement à la marque pour constituer son essence même.
De même, le brand content est une aventure : lorsqu’elles lancent une opération, les marques ne peuvent pas chercher à maîtriser où, au fil des rencontres et du hasard, celle-ci va les mener. Elles doivent avant tout laisser le temps agir en elles, rester à l’écoute du hasard et savoir rebondir sur des opportunités non prévues
Le cas de Red Bull illustre la construction d’un avantage concurrentiel dans le temps, permettant de légitimer la démarche de la marque. Les différentes initiatives de Red Bull en sports extrêmes depuis 15 ans considérées isolément ne seraient pas rentables à l’aune des KPIs classiques à court terme. En particulier, certaines opérations centrées sur des petites communautés de sportifs peuvent sembler anecdotiques. C’est pourtant l’addition de ces actions ciblées et diversifiées, qui ont conféré à Red Bull une culture globale et spécifique de l’extrême.
Les KPIs classiques reposent sur une pensée strictement linéaire, qui n’intègre ni le facteur temps, ni le hasard. Il faut remplacer cette vision mécanique des actions de l’entreprise par une vision organique, plus adaptée aux potentialités génératives globales de l’économie connectée. La dose d’imprévisibilité qu’implique toute opération de brand content ne doit plus être un frein à la créativité et au potentiel des entreprises.
Le brand content stratégique ouvre de nouvelles voies pour l’entreprise. Il constitue un nouvel espace d’expérimentation pour de nouvelles manières de vivre les choses. Pour inventer le monde de demain, il faut laisser une place au rêve et à l’utopie. En lançant ideeslocales.fr, PagesJaunes mise sur le ré-enchantement des commerces, crée une émulation entre les acteurs, stimule l’innovation. Une telle démarche ne peut être que bienfaitrice sans qu’on puisse en anticiper toutes les conséquences.

Brand content et économie du don
Les KPIs traditionnels s’inscrivent dans une logique transactionnelle rationalisée, qui implique une symétrie stricte des échanges : la marque investit dans la conception, la production et la commercialisation de produit et reçoit en contrepartie l’argent des consommateurs. Or, à la différence de la vente de produit ou de service, le brand content est un don de la marque au consommateur.
Comme l’explique très bien Jean-François Noubel, l’économie du don répond à une logique très différente de celle du marché. Il s’agit d’une économie asymétrique, où celui qui donne ne peut prévoir ce qu’il recevra en échange de son don, ni à quel moment. La famille est un bon exemple pour comprendre l’économie du don : on ne se facture pas les courses, la vaisselle ou les leçons des enfants. Chacun donne ce qu’il peut donner et reçoit ce dont il a besoin.

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Inscrit dans une économie du don, le brand content implique une modification du rôle de la marque, qui s’inscrit dans une démarche de «self-binding» (largement développée dans l’ouvrage Brand Culture) : elle offre ses contenus au marché en dehors de tout contrat, prodigue ses dons sans savoir s’il y aura un retour, et quel il sera. Cet auto-engagement est une des preuves de la sincérité et de l’authenticité des contenus.
Cette économie du don comme modèle alternatif à la société marchande a été théorisée par Georges Bataille dans La Part Maudite : il y prône des échanges fondés sur des valeurs non rationnelles, telles que le plaisir, l’expérience, le récit, le jeu, l’émotion… Cette tentative de dépassement de l’homo economicus pour décrire et comprendre les sociétés humaines trouve un écho puissant dans nos sociétés contemporaines en crise.
Cette nouvelle façon d’envisager l’échange suppose en particulier le respect du consommateur, auquel on laisse une pleine et entière liberté, par opposition à une approche utilitariste de demande de rétribution immédiate, de plus en plus largement rejetée.

L’économie de l’expérience
Pour permettre de rentrer dans cette nouvelle logique, Jean-François Noubel propose d’inventer un nouveau vocabulaire. Pour lui, parler de «transaction», c’est ainsi réduire l’immense diversité des richesses existantes. Il invite donc les entreprises à repenser leurs business modèles en raisonnant en termes de modèles de richesse.
Pour lui «l’économie de l’expérience, c’est un changement radical des business models». Il prend l’exemple de Starbucks, qui ayant commencé par vendre du café, s’est ensuite mis à vendre un service, puis une expérience de convivialité autour d’un café partagé. C’est vers ce nouveau modèle que toutes les entreprises doivent tendre aujourd’hui.
Les contenus comme les produits sont des réalités objectives, fixées, qui doivent être actualisés par l’expérience. L’expérience est un vécu humain tandis que le contenu est un objet. Cette expérience peut être très diverse, et comprend au moins trois dimensions :
– Cognitive (embrasser la signification, le sens proposé par la marque par le biais de l’intellect)
– Emotionnelle (profiter d’une expérience émotionnelle, dont esthétique, par le biais des sens)
– Pratique (faire l’expérience du contenu par le biais de l’action)

Redéfinir la notion de richesse
Dans l’économie transactionnelle, nous avons tendance à nous concentrer sur la richesse matérielle : la possession de biens et la valeur monétaire des choses. Cette focalisation sur les retombées monétaires fait oublier les autres richesses.
Or, parce qu’il s’inscrit dans une économie du don, le brand content implique une modification de la conception de la richesse : le don de la marque, comme le contre-don des consommateurs, n’est pas calculable ni assignable. Sa valeur n’est pas monétaire mais de l’ordre du symbolique (contenu conceptuel, narratif…), générant des retours également symboliques (attachement à la marque, intentionnalité collective, croyance en la marque…)
Selon Jean-François Noubel, on peut ainsi prendre en compte :
– Les richesses déplaçables, qui sont mobiles, peuvent être échangées (une voiture, de l’électricité, de la nourriture…)
– Les richesses mesurables : le turn over, le nombre de candidatures, le bilan carbone, …
– Les richesses ordonnables, qui reposent sur une logique de classement : statut de champion, médaille, voiture de l’année, best seller…
– Les richesses énonçables, purement subjectives, qui correspondent à ce que les personnes disent de leur propre richesse (qualité de vie, beauté, confiance, amour, respect…). Quelle richesse que d’entendre «c’est délicieux» pour quelqu’un qui vient de préparer un plat !
– Les richesses potentielles : ce que ça peut créer sans qu’on sache quoi. Il s’agit du champ des possibles qu’ouvre une action. Pour les entreprises, il peut par exemple s’agir des rencontres, des opportunités de partenariats, de diversification, des nouveaux territoires d’expression qui s’ouvrent aux marques en conséquence d’opérations de brand content stratégique et qui ne pouvaient être prévues lors de leur lancement.
Laurent Faibis, créateur et PDG de l’institut d’études économiques Xerfi, explique ainsi que la création de sa web TV BtoB Xerfi Canal a eu pour l’entreprise des retombées bien au-delà des ventes. Il constate que grâce à cette stratégie de contenu, Xerfi a renforcé sa légitimité et réussi à devenir le médiateur du monde économique en dépit d’une taille limitée. Ses commerciaux obtiennent plus facilement des rendez-vous et les candidats au recrutement sont mieux qualifiés. En vedettarisant ses collaborateurs, il a renforcé leur crédibilité et leur motivation. Avec Xerfi Canal, des personnalités clés ont cherché à collaborer avec la marque et ses relations avec les banquiers ont été facilitées.
Interpellés par les campagnes Benetton, le magazine (Brand content) Colors, et les nombreux projets sur la tolérance, de nombreux artistes comme Jeff Koons, Jenny Holzer ou Peter Greenaway ont collaboré ou désiré collaborer gratuitement avec la marque. Ce qui les attirait, c’était l’authenticité et la profondeur de la démarche. Convaincus de l’intérêt éditorial de ces collaborations, certains médias offraient leurs pages. Jamais l’équipe de communication de Benetton n’aurait pu imaginer ce genre de bénéfices.
Doit-on rationaliser toutes ces retombées le plus souvent imprévisibles ? On voit bien à travers ces exemples que les KPIs classiques peuvent être réducteurs lorsqu’il s’agit d’évaluer de telles retombées.

Les KPIs de la permaculture
La permaculture désigne la relation symbiotique qu’a un acteur avec son écosystème.
Bien que la marque appartienne au monde humain, cette notion fournit une métaphore intéressante pour construire un contenu durable. Selon la philosophie de la permaculture, un acteur ne doit pas chercher à utiliser l’écosystème mais plutôt à s’inscrire durablement dans son environnement. Cette démarche rejoint le paradigme du care, c’est à dire du soin du monde, dont chacun a la responsabilité.
De même, l’entreprise durable développe une relation respectueuse avec le milieu et les communautés dans lesquels elle évolue. Elle favorise des réactions, des émergences plutôt qu’elle ne cherche à museler et contrôler un processus. Ainsi l’enjeu du brand content stratégique serait d’alimenter l’écosystème, d’animer la communauté, de susciter des réactions plutôt que d’instrumentaliser des ressources.
Cette philosophie conduit à une vision beaucoup plus ouverte des KPIs. Et si le brand content était une forme de jardinage ? La marque saurait alors que ces semences que sont ses contenus peuvent être productives et génératives si elle fait tout pour en favoriser la floraison.
Dans une approche systématique, ce qu’offre le brand content, c’est une richesse intégrale, par sédimentation et dans le temps. Comprendre cela permet de penser de nouveaux indicateurs plus intuitifs, désintéressés et informels…

Le KPI Delta des potentialités
Une des solutions est d’ajouter aux indicateurs objectifs et mesurables un pourcentage de valeur non mesurable mais probable. Ce KPI Delta doit représenter la valeur liée aux bénéfices imprévisibles mais systématiques et substantiels propres au brand content stratégique.
Toute marque qui veut devenir un média, a une courbe d’expérience et doit pratiquer le «test and learn». Retarder le lancement, c’est risquer de bâcler ce nécessaire apprentissage.
Ne pas se lancer dans une stratégie éditoriale c’est surtout empêcher l’entreprise de rayonner, d’innover et d’ensemencer.

Retrouvez cet article dans «Le brand content stratégique», prochain livre blanc de QualiQuanti et Via Alternativa, qui sortira en mai 2014.

Daniel Bô, PDG de l’institut d’études QualiQuanti et Pascal Somarriba, PDG de Via Alternativa

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